« Darons d’ailleurs ». Deux fois par mois, l’un de nos journalistes Ă  l’étranger explore la parentalitĂ© hors de nos frontiĂšres. Dans un pays oĂč 82 % des enfants de 9 ans ont un portable, il n’existe aucune directive officielle concernant l’usage des Ă©crans.

Il a longtemps Ă©tĂ© difficile d’évoquer le temps d’écran des enfants avec les parents suĂ©dois. Non qu’une discussion sur les risques d’une exposition prolongĂ©e ou les limites Ă  imposer soit impossible. Mais elle gĂ©nĂšre souvent l’incomprĂ©hension : pourquoi donc refuser un tĂ©lĂ©phone portable Ă  un gamin de 8 ans, quand la plupart de ses camarades de classe en ont dĂ©jĂ  un ? Pourquoi limiter son accĂšs Ă  Internet alors qu’il apprend l’anglais et se fait des amis en ligne ? Ne parlons pas de restreindre l’usage d’une application qu’on aurait installĂ©e : ce serait presque de la maltraitance.

Mais des parents s’interrogent, Ă  l’heure oĂč les professionnels de santĂ© commencent tout doucement Ă  tirer le signal d’alarme. A l’automne 2023, l’Agence de santĂ© publique Ă  Stockholm a annoncĂ© qu’elle ferait des recommandations d’ici Ă  dĂ©cembre 2024.

Car, pour le moment, il n’y en a aucune, si ce n’est celles de l’Association suĂ©doise des pĂ©diatres, publiĂ©es en novembre 2023, pour les enfants de 0 Ă  5 ans. Dans ce document de huit pages – dont quatre renvoient vers des Ă©tudes scientifiques – les mĂ©decins avancent avec prudence. Ils reconnaissent que les parents, qui passent eux-mĂȘmes beaucoup de temps devant les Ă©crans, peuvent Ă©prouver une « certaine rĂ©ticence » Ă  accepter les rĂ©sultats de l’étude, qui « tend Ă  recommander que les enfants les plus jeunes n’utilisent pas du tout d’écrans numĂ©riques ». Les pĂ©diatres conseillent donc aucun Ă©cran jusqu’à 2 ans, puis une heure quotidienne maximum, jusqu’à 5 ans.

Dans l’ensemble, les rĂ©actions ont Ă©tĂ© positives, constate Ulrika Aden, prĂ©sidente de l’association, qui avoue avoir Ă©tĂ© un peu surprise : « La SuĂšde se voit comme un pays Ă  la pointe de la numĂ©risation et d’Internet, oĂč vouloir limiter les nouvelles technologies est considĂ©rĂ© comme rĂ©trograde. » Les enfants ont d’ailleurs accĂšs aux Ă©crans Ă  l’école dĂšs la maternelle. Mais les familles se posent aussi beaucoup de questions, assure Mme Aden : « Je pense que presque tous les parents suĂ©dois seraient d’accord pour dire que limiter le temps d’écran de leurs enfants est leur principale prĂ©occupation. C’est probablement plus facile Ă  faire dans d’autres cultures, oĂč les parents peuvent ĂȘtre autoritaires, alors qu’en SuĂšde, les gens font confiance aux autoritĂ©s et attendent qu’elles les soutiennent en publiant des recommandations. »

Dans ce pays ultraconnectĂ© d’early adopters (les « primo-adoptants », qui sautent sur tout ce qui est nouveau), oĂč le secteur de la tech a produit des gĂ©ants du numĂ©rique (King, Zettle, Klarna ou Spotify), les chiffres sont assez vertigineux. Selon le rapport annuel de l’Agence suĂ©doise des mĂ©dias publiĂ© en 2023, 82 % des enfants de 9 ans ont un tĂ©lĂ©phone portable, 20 % ont un ordinateur et 55 % une tablette. Parmi les 9 Ă  12 ans, 12 % passent plus de trois heures par jour sur les rĂ©seaux sociaux et un quart des ados disent mĂȘme dormir avec leur portable.

« Elle risquait d’ĂȘtre exclue »

Concernant les tout-petits, la Fondation suĂ©doise de l’Internet a rĂ©vĂ©lĂ© en 2018 que 26 % des bĂ©bĂ©s de moins de 1 an « utilisaient » Internet, tout comme 37 % des enfants de 1 Ă  2 ans, dont la moitiĂ© tous les jours. Des chiffres confirmĂ©s par l’Agence suĂ©doise des mĂ©dias, qui constatait en 2023 qu’un tiers des bĂ©bĂ©s de moins de 1 an ont accĂšs Ă  un tĂ©lĂ©phone portable et que 20 % y sont exposĂ©s quotidiennement ou plusieurs fois par semaine. Par ailleurs, la moitiĂ© des 0-4 ans regardent un film plus d’une heure par jour et un tiers sont sur YouTube.

Comme de nombreux parents, Marika Sivertsson, journaliste rĂ©sidant Ă  Stockholm, semble rĂ©signĂ©e. Sa fille, Linnea, ĂągĂ©e de 13 ans, a eu sa premiĂšre tablette Ă  « 3 ou 4 ans ». Elle l’utilisait « plusieurs heures par jour » pour jouer ou regarder des films. Quelques annĂ©es plus tard, sa mĂšre lui a donnĂ© un tĂ©lĂ©phone Ă  touches, puis un smartphone Ă  10 ans. « A cet Ăąge, les enfants passent une grosse partie de leur temps sur leurs Ă©crans, et elle risquait d’ĂȘtre exclue », constate Marika, un peu amĂšre : Ă  partir de lĂ , elle a « perdu le contrĂŽle du temps que [sa] fille passait sur un Ă©cran ».

Elle a imposĂ© une rĂšgle, cependant : Ă  partir de 22 heures, le tĂ©lĂ©phone de Linnea doit ĂȘtre sur la table de la cuisine et le Wi-Fi est Ă©teint. Mais la « bataille semble perdue d’avance », dit-elle. Les amies de sa fille n’ont aucune limite. Elle-mĂȘme suit une formation pour devenir enseignante : « J’ai appris que j’aurais de la chance si les Ă©lĂšves avaient eu une nuit de sommeil normale avant de venir en cours. »

  • Camus [il/lui]@lemmy.blahaj.zoneOP
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    4 months ago

    « Un outil pédagogique »

    InstallĂ© Ă  Stockholm depuis douze ans, Alexandre Di Caro, Français travaillant dans le marketing, Ă©voque un choc de cultures. Ses filles, ĂągĂ©es de 10 et 11 ans, n’ont pas eu d’accĂšs Ă  la tablette avant 6 ans et viennent seulement d’avoir leur premier tĂ©lĂ©phone. Dans leur entourage, ils passent pour des parents « sĂ©vĂšres ». « En SuĂšde, il est presque inconcevable qu’un enfant n’ait pas un tĂ©lĂ©phone Ă  6 ou 7 ans », remarque-t-il. « La plupart n’ont pas de limites et, pour les parents, en fixer est incomprĂ©hensible, car ils le voient comme un outil pĂ©dagogique, dit-il. MĂȘme si un changement est en train de se produire. »

    DĂ©but mars, le leader du parti libĂ©ral, Johan Pehrson, ministre du travail et de l’intĂ©gration, a fait des vagues en se prononçant pour un verrouillage des tĂ©lĂ©phones des enfants aprĂšs 23 heures en semaine – pour « aider les parents ». Le 3 mai, la ministre de l’industrie et cheffe de file du parti chrĂ©tien-dĂ©mocrate, Ebba Busch, a estimĂ© que l’Union europĂ©enne devait rĂ©agir : « C’est comme de la drogue, pour les enfants », a-t-elle affirmĂ©, ajoutant que « les parents ne peuvent pas tout faire ».

    Mais difficile de vivre sans portable en SuĂšde, mĂȘme pour les enfants : la plupart des communications ayant trait Ă  leurs activitĂ©s extrascolaires ont lieu sur WhatsApp. Beaucoup rentrent seuls Ă  la maison aprĂšs l’école. Ils ont besoin d’une appli pour payer le bus ou le mĂ©tro. Enfin, Ă  13 ans, ils sont les seuls Ă  pouvoir accĂ©der Ă  leur compte santĂ© sur Internet, ce qui requiert une signature numĂ©rique et
 un tĂ©lĂ©phone.

    • Krakaval@jlai.lu
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      4 months ago

      J’ai une fille de six ans qui n’a bien entendu pas de tĂ©lĂ©phone et le futur m’inquiĂšte. Pas tellement le fait que ce soit des Ă©crans mais surtout toute la toxicitĂ© des contenus et contacts en ligne. Le problĂšme c’est que bien des parents cĂšdent beaucoup trop vite Ă  la demande, et la rĂ©sistance de ceux qui sont plus fermes engendre la marginalisation des enfants concernĂ©s qui sont frustrĂ©s de ne pas faire partie de ceux qui ont un smartphone


      Je pense qu’il faudrait lĂ©gifĂ©rer comme avec le tabac, l’alcool,
 : pas d’accĂšs aux rĂ©seaux sociaux avant un certain Ăąge, applications de messageries avant tel autre Ăąge,
 et surtout former les enfants Ă  l’utilisation de ces outils.