Extrait :

Toutes les promenades de plus de 5 km que j’ai faites Ă  vĂ©lo avec une ou deux personnes m’ont fait mal au point oĂč j’ai eu peur de mourir.

Je me souviens de ce trajet Ă  MontrĂ©al, dans la canicule, alors que je n’ai toujours pas rĂ©cupĂ©rĂ© du jet lag, dix jours aprĂšs le vol. Nous devions faire peut-ĂȘtre 10 km, j’étais dĂ©jĂ  trĂšs circonspecte, parce que fatiguĂ©e et puis la canicule. Mais si je voulais sortir avec des gens et non pas rester seule, alors il fallait prendre le vĂ©lo. Un gigantesque pont sur notre trajet : je me renseigne pour savoir s’il est pentu. « c’est trois fois rien ». Alors je prĂ©viens, encore une fois, je liste les facteurs de risque, je dis que je suis lente, que je ne peux pas faire d’effort, encore moins en canicule et pas en montĂ©e. Et on se met en selle. Avant mĂȘme le pont, cela va trop vite pour moi, je ne peux pas suivre. J’accĂ©lĂšre pour rattraper mes amies au feu, et je redis que ça va trop vite. « Oui mais moi tu comprends j’ai besoin d’aller Ă  mon rythme, je veux faire du sport, donc en fait on va t’attendre Ă  chaque fois qu’on tourne Ă  une intersection »  comme si le seul problĂšme soit que je ne connaisse pas le chemin. J’étais en permanence en effort ; en bas du pont, je me rends compte de la cĂŽte, qui n’a rien d’un faux-plat. Impossible de dire quoi que ce soit, mes amies sont loin devant. Alors j’avance, je n’ai plus le choix, je ne sais pas non plus vraiment oĂč je suis. À peine arrivĂ©es Ă  destination, en bas du pont, je suis en souffrance. Au lieu de continuer la balade sur l’üle, je les attend, une grande heure, Ă  l’ombre, en essayant de me dĂ©tendre. Au retour, je suis transpercĂ©e de douleurs, et on choisit l’itinĂ©raire sans pente mais plus long. Je vais mettre deux jours Ă  m’en remettre.

Il y avait aussi ces 12 km sur du plat en Irlande. Mon ami me dĂ©passe, je ne peux plus le rattraper pour lui dire que j’ai besoin de m’arrĂȘter. AprĂšs plusieurs minutes d’hĂ©sitations, je m’arrĂȘte parce que je n’ai pas le choix, en me demandant combien de temps il va mettre Ă  se rendre compte que je ne suis plus derriĂšre lui. Au bout d’un temps trĂšs long d’inquiĂ©tude et de dĂ©ception, il revient vers moi, interrogateur, se demandant si j’ai crevĂ©. C’est pas le pneu, c’est moi. Je lui fais comprendre qu’il faut rentrer, qu’il n’y a pas le choix. Je suis transpercĂ©e de douleurs sur le trajet du retour. J’ai peur que ma tĂȘte lĂąche, je sais que mon corps tient. Une fois arrivĂ©s Ă  l’hĂŽtel, il ne tarde pas Ă  repartir voir un concert au village.

Il y avait aussi cette balade, aussi sur du plat, dans les environs de Berlin. Lorsque je demande une pause, mon ami me rĂ©ponds « oh, attends un peu, dans 3km, ça sera beaucoup plus joli ». MĂȘme fin, transpercĂ©e de douleurs, toute seule, chez moi.

Il y a tant de fois. Plus exactement : Ă  chaque fois.

Lien direct vers la version web du texte : https://infokiosques.net/spip.php?page=lire&id_article=2180

Il y a aussi des versions PDF, a5 page par page, et version livret, comme d’hab’ avec infokiosques.net.

  • Camille d'Ockham@jlai.luOP
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    ·
    9 hours ago

    C’est vrai que ça peut ĂȘtre une solution pour ce type prĂ©cis de problĂšme, mais en mĂȘme temps elle met en exergue un problĂšme social. Ce type de comportement se retrouve sous d’autres formes, pas toujours avec une solution technique de dispo.