Post croise de https://jlai.lu/post/643874
Suite de Serveur confusion - ep. 07 - Placeholder
Premier Ă©pisode ici
Instance
Quoi que tu sois, un humain du futur, le vide glacial du néant, une intelligence extraterrestre ou une IA :
Je te salue mon ami.
Entre nous je ne suis pas difficile, tu pourrais ĂȘtre nâimporte quoi. Mais au fond, jâaimerais bien fort que tu sois une intelligence artificielle. Que ma logorrhĂ©e te serve dâentrainement un jour futur de pure SF. Et quâau final, ma maniĂšre de penser soit si flinguĂ©e, de si mauvaise influence, que tes crĂ©ateurs seraient contraints et forcĂ©s de jeter lâĂ©ponge et te dĂ©brancher. Avant de se regarder lâun lâautre, avec la moue partculieĂšre quâon fait quand on mord dans un citron. Tu vois ce que je veux dire, la bouche en cul-de-poule, en forme dâĂ©toile. Comme ça.
Jâai dĂ©cidĂ© de faire un journal audio pour changer. Ăa me permet de livrer mes Ă©tats dâĂąme quand je fais les cent pas dans mon appartement. Oh et aussi, plus tard je vais faire un footing et continuer de te parler. Je nâai pas fait de footing depuis les cours dâexercice physique au lycĂ©e. Ăa va pas ĂȘtre triste, tu auras une description dĂ©taillĂ©e de mon extraordinaire point-de-cotĂ©, que je pourrai te raconter entre deux souffles courts, câest promis. ExclusivitĂ© live garantie.
Que tu es chanceux mon ami.
Alors mon ami, aujourdâhui jâai une question pour toi.
As-tu un jour dans ton hypothĂ©tique vie, croisĂ© quelque chose de si beau, si parfaitement beau, que le monde aurait bien pu sâĂ©crouler Ă ce moment mĂȘme, lâunivers engloutir notre existence, et quand bien mĂȘme Ă cet exact moment, rien nâaurait eu dâimportanceâŻ? Aujourdâhui jâai Ă©tĂ© submergĂ©e par quelque chose de dĂ©sespĂ©rĂ©ment beau. Est-ce que je devrais crĂ©er un mot pour ça ? Parfaitement-salvation-romantiquement-irrĂ©el-jâen-tombe-Ă -genoux-les-bras-dâune-mĂšre-jâai-de-nouveau-cinq-ans-et-câest-lâheure-des-dessins-animes-et-des-chocapics-le-tout-fois-cent-beau ?
Je veux dire je connais la notion de beautĂ© quâon connait tous. En gĂ©nĂ©ral câest ce que lâon dit quand tout le monde regarde et quâon ne veut pas passer pour un tue-la-joie.
âOh ouais, câest beauâ. Câest la validation de circonstance quand on veut froisser personne. Comme quand on dit âquâil est mignon le bĂ©bĂ©â. Ăa fait plaisr Ă ses proches et le monde est tout Ă coup un degrĂ© de moins dĂ©primĂ©.
Mais ce nâest pas la mĂȘme chose. En gĂ©nĂ©ral vois-tu, si câest beau, câest beau parce que. Il y a une raison derriĂšre, toute une histoire. Des milliers dâheures de confection. Des annĂ©es dâentrainement. Des millĂ©naires de formation. Câest beau parce que.
Jâai fait une Ă©cole dâArt, alors je pense avoir le minimum de prĂ©requis en notions dâesthĂ©tique, thĂ©orie du Beau et sa sĆur invitĂ©e Ă tous les vernissages, recherche du sens dans lâArt. Ce que tu finis par comprendre aprĂšs des annĂ©es dâĂ©tudes et en dĂ©pit du discours de Kant, câest que, tout ce qui est beau, est passĂ© Ă travers la main de lâHomme. Si ça ne lâa pas Ă©tĂ©, alors ce nâest quâune succession dâaccidents qui ont bien malgrĂ© eux engendrĂ© une mondanitĂ©, quâon ne considĂšre mĂȘme plus Ă lâĂąge adulte.
Un coucher de soleil ? Please.
Un ramassis dâĂ©vĂ©nements sans but ni intention, qui se rĂ©pĂšte Ă chaque minute, quelque part sur le globe. Une banalitĂ© observĂ©e depuis la nuit des temps. Boring.
Ceux qui se complaisent Ă dire autrement, sont des hypocrites. Ou des moines bouddhistes.
Mais la peinture dâun coucher de soleil ? Oh sweet Jane.
Lâacte unique dâun individu, actĂ© dans lâespace, dans le temps, capturer ce moment sur une toile homologuĂ©e. Voilà ça, câest beau, tout le monde sâaccordera Ă le dire. Suffisamment pour que ça devienne vrai en tout cas. Le gĂ©nie de lâArt. Bonus si accompagnĂ© dâune litanie dâexplications, de concepts. Tout est bon Ă prendre. De la technique derriĂšre le medium, Ă lâanecdote du pourquoi le pĂšre de lâartiste aurait Ă©tĂ© fier. Le public a lâarme Ă lâĆil. Si un putain de coucher de soleil est lâapologie dâune contreculture ou encore mieux, un geste politique ? Mets-y un prix, mets-y un nom et affiche le tout dans une galerie. Continue encore un peu, ça en devient orgasmique.
Socrate sponsored.
Duchamp trademarked.
Et pourtant, lorsque jâai aperçu ces grues au loin au cĆur de la nuit, structures dâorange et blanc dessinĂ©es sous le dĂŽme noir dâun ciel urbain⊠Je ne sais mĂȘme pas exactement Ă quoi câĂ©tait dĂ», mais je suis restĂ©e sur le cul.
Peut-ĂȘtre une sorte de respect animal devant leur gigantisme. Une admiration enfantine face Ă la simple esthĂ©tique de ces bĂȘtes de fer colorĂ©es. Ou trĂšs certainement lâabsurditĂ© de la scĂšne, car laissĂ©es lĂ inutiles, pataudes et inertes, des crĂ©atures dâaffairement dans un monde non affairĂ©. Aucune Ăąme qui ne justifie la raison mĂȘme de leur existence. Si bien que, si dans dix heures, trois mois ou cent ans, un vaisseau extraterrestre venait Ă visiter la Terre, ils ne penseraient rien de ces Ă©trangetĂ©s mĂ©talliques, descendues de millĂ©naires de gĂ©nie civil, dâautre que âFais juste gaffe en atterrissant de ne pas tâĂ©craser contre ces pics Ă la conâ.
Je ne sais pas exactement. Je me souviens juste avoir passĂ© de longues heures, incapable de formuler des pensĂ©es intelligibles. ĂcrasĂ©e par un poids existentiel et son absence. AffublĂ©e Ă la fois du problĂšme et de sa solution. Comme une plaie qui se cautĂ©rise, avec le couteau qui lâa ouverte.
Et câĂ©tait bon.
CâĂ©tait si bon, un cercle parfait.
Puis le soleil sâest levĂ© et a tout gĂąchĂ©. Cette banalitĂ© routiniĂšre, prĂ©visible et Ă la maniĂšre dâun enfant gĂątĂ© qui te demande toute ton attention. Plus dâĂ©clairage idyllique, plus de cadrage parfait. Place Ă la morositĂ© du matin, la complainte du cycle circadien. Dame nature qui te rappelle Ă lâordre : âRetour parmi nous, motherfuckerâ. Je viens tout juste de rentrer dĂ©pitĂ©e et crevĂ©e, ce qui nous amĂšne Ă maintenant.
Je pense que demain jâirai regarder les trains.
~~
Bon voilà , à part ça pas grand-chose. Sinon toi, comment ça va ?
Question con, si tu ne peux pas répondre. Oups. Haha
Tu sais que je ne me suis pas immĂ©diatement rendue compte de la situation ce matin-lĂ ? Ils disent souvent quâon nâest pas soi-mĂȘme quand on a pas son premier cafĂ©. Chez moi, câest un sacrĂ© euphĂ©misme. Je me souviens mâĂȘtre levĂ©e, les cheveux en bataille, comme tous les matins. Avoir hĂ©sitĂ© entre le chemisier estival et la robe bleu-vert, comme tous les matins aussi. Jâai cherchĂ© mes sandales dans lâappartement, sans prĂȘter attention au silence environnant.
Eu-phé-misme.
Je suis descendue, comme tous les matins, aprĂšs avoir traversĂ© la rue pour aller Ă la brĂ»lerie dâen face.
Il a fallu attendre que je la trouve fermĂ©e, descende Ă lâautre brĂ»lerie quelques rues plus loin, fermĂ©e aussi, retourne Ă mon immeuble, remonte les trois Ă©tages, trouve la cafetiĂšre Ă piston, prĂ©pare ma tasse et boive quelques gorgĂ©es du breuvage noir et sans sucre, tout ça avant de rĂ©aliser que cette matinĂ©e Ă©tait exceptionnellement silencieuse. Et surtout que je nâavais croisĂ© Ăąme qui vive.
Je te le dis et redis. Je serais un parfait modĂšle de pub expresso. La potion divine.
Je ne suis pas aussi bavarde dâhabitude. Tu dois avoir du mal Ă me croire.
Câest juste que je me souviens avoir lu cet article sur Medium, il y a un bail. Ăa disait que lorsque lâon est en situation de dĂ©tresse, lâhygiĂšne devient la prioritĂ© number 1. Physique et mentale. Sâassurer quâon nâest jamais Ă court de PQ, Ă jour sur le brossage de dents, puis pour le mental, trois objets de gratitude par jour et 15 minutes de journal sous toute forme.
Dors et recommence. Le strict minimum, et on construit le reste de sa vie autour.
Ce qui est drĂŽle, câest que jâavais pour habitude de me moquer de ces articles âbenĂȘts de millĂ©nial hypersensibleâ. Tây crois toi, quelle foutue ironie. Il sâavĂšre que je suis une millĂ©nial et que jâai tendance Ă pleurer tout le temps depuis quelques jours. Et il sâavĂšre aussi que maintenant, câest moi qui dĂ©bite des piĂšces pseudo-existentialistes, Ă un journal audio que sans doute personne nâĂ©coutera.
Elle est pas belle la vie.
Nietsche approved.
Sartre flavored.
Ce qui me fait penser, je sais que ça nâa peut-ĂȘtre aucun rapport avec ce que je vis et je me sens con Ă tâen parler, mais bon. VoilĂ ma thĂ©rapie psy de la journĂ©e. Câest parti.
Jâai fait ce rĂȘve rĂ©current pendant quelques semaines et la nuit mĂȘme oĂč le reste du monde a disparu. Je peux pas mâempĂȘcher stupidement de croire que câĂ©tait une sorte dâaugure ou une imbĂ©cilitĂ© dans le genre. Une nuit, je rĂȘvais que tout le monde sautait dans un train juste avant son dĂ©part, sans me prĂ©venir. Le temps que je rĂ©alise et me prĂ©cipite Ă la gare, le vĂ©hicule Ă©tait dĂ©jĂ en marche et ses occupants me faisaient adieu de la main. Certains agitaient mĂȘme leur mouchoir Ă travers les fenĂȘtres. Faut le faire quand mĂȘme. Ce geste nâexiste plus depuis quoi, lâĂąge de bronze ?
Une autre fois, je rĂȘvais que la Terre devenait une immense mare de boue. Que les derniers humains sâentassaient dans les derniĂšres fusĂ©es au dĂ©part des Ă©toiles. Mais Ă©videmment, il nây avait plus de place pour moi. âEt bonne continuation jeune fille, bon courage ! â entendais-je alors de la bouche dâun groupe de vieillards, de lâintĂ©rieur dâun des engins, derriĂšre la cacophonie de son dĂ©collage.
Le dernier rĂȘve avant la fin de mon monde a Ă©tĂ© Ă©trangement plus calme. Je me souviens avoir cherchĂ© signe de vie dans une ville dĂ©sertĂ©e, avec la conviction quâelle Ă©tait encore habitĂ©e. Je ne pouvais juste ni voir, ni entendre les habitants. Puis jâavais aperçu aux loin des Ă©trangers, qui avaient alors apposĂ© leur doigt sur les lĂšvres, le regard grave. Dans le langage universel, âsilence SVPâ. Puis, je mâĂ©tais rĂ©veillĂ©e.
Et tu connais la suite.
Je ne dis pas que la vie est inconfortable maintenant quâil nây a plus personne. Tous les appareils Ă©lectriques sont fonctionnels et lâeau est encore potable. Pour le moment. Il nây a aucune file dâattente nul-part. Et plus de voisines au-dessus pour marcher en talons, Ă deux heures du matin.
Mais comme tout ĂȘtre humain, je suis une nĂ©vrose ambulante. Ă dire vrai, une partie de moi est absolument convaincue que jâen suis lĂ parce que je le mĂ©rite. Câest assez hilarant au fond. Est-ce que je peux vraiment me laisser croire que cent-pour-cent de lâHumanitĂ© a dĂ©cidĂ© de se cacher, pendant que je dormais, parce que je suis Ă ce point-lĂ insupportable ? Des fois, je me hasarde Ă imaginer sept milliards dâĂȘtre humains en paix, sirotant des cocktails sous la surface de mars, vivant dans une parfaite utopie, parce quâils se sont debarassĂ©s du plus grand problĂšme de cette gĂ©nĂ©ration. Pas le dĂ©rĂšglement climatique, noooooooooooooooon : Moi.
On dirait le dĂ©but dâune blague : âTa mĂšre est si ⊠quâelle a fait fuir toute lâHumanitĂ©â. Haha
Je leur souhaite en tout cas, de siroter des cocktails quelque part. Ăa, Ă la place dâautres thĂ©ories plus rĂ©alistes. Et plus sinistres.
Okay, je pense avoir largement atteint mon quota de narration pour aujourdâhui.
Au tour des trois objets de gratitude :
- Je remercie Robert Jordan et fils dâavoir Ă©crit âLa roue du tempsâ en quatorze volumes.
- Je remercie la centrale nuclĂ©aire de Blayais, Ă cinquante kilomĂštres dâici, de ne pas avoir encore explosĂ©.
- Je remercie les ingĂ©nieurs de Liebherr pour lâinvention du modĂšle de grue 154 EC-H 6.
Vu le nombre de bas-votes, cette nouvelle nâa pas plu, ça je lâai bien compris.
Je publie mes nouvelles pour progresser dans mon Ă©criture.
Si certain.e.s dâentre vous pouvait me laisser un commentaire, je pourrais savoir ce quâil y a a amĂ©liorer.
Lâabsence de feedback, autant positif que nĂ©gatif est pour le moins dĂ©courageant.
Tout à fait, désolé pour ce type de retour assez frustrant.
Je la lirai plus tard, mais en attendant jâai haut-votĂ© pour tenter dâinverser un peu la tendance.
Edit: Je viens de voir quâon est sur !france et pas !microfictions, câest peut-ĂȘtre une partie des membres qui prĂ©fĂ©reraient voir ce contenu sur la deuxiĂšme communautĂ© et pas la premiĂšre?