C’était au début de l’été, avant que les Américains ne traversent l’Atlantique pour humer la douceur de vivre européenne. Les prix y sont fort abordables pour eux, et le Wall Street Journal en a donné la raison : l’appauvrissement inexorable de l’Europe. « Les Européens sont confrontés à une nouvelle réalité économique qu’ils n’ont pas connue depuis des décennies : ils deviennent de plus en plus pauvres », écrivait le quotidien des affaires, le 17 juillet. En 2008, la zone euro et les Etats-Unis avaient un produit intérieur brut (PIB) à prix courants équivalent de 14 200 milliards et 14 800 milliards de dollars respectivement (13 082 milliards et 13 635 milliards d’euros). Quinze ans après, celui des Européens est à peine au-dessus de 15 000 milliards, tandis que celui des Etats-Unis s’est envolé à 26 900 milliards.
Résultat, l’écart de PIB est désormais de 80 % ! L’European Centre for International Political Economy, un centre de réflexion basé à Bruxelles, a publié un classement du PIB par habitant des Etats américains et européens : l’Italie est juste devant le Mississippi, le plus pauvre des cinquante Etats américains, tandis que la France se situe entre l’Idaho et l’Arkansas, respectivement 48e et 49e Etats américains. L’Allemagne ne sauve pas la face, entre l’Oklahoma et le Maine (38e et 39e). Le sujet est inaudible en France – tout de suite viennent les contre-arguments sur l’espérance de vie, la malbouffe, les inégalités, etc. Il agace même les Britanniques, tout aussi mal lotis, comme en attestait, le 11 août, une chronique du Financial Times qui s’interrogeait : « Le Royaume-Uni est-il vraiment aussi pauvre que le Mississippi ? »
L’Europe (re)décroche depuis le Covid-19, comme elle le fait après chaque crise. Le Vieux Continent était respecté tant que l’Allemagne tenait. Mais cette dernière n’est que l’ombre d’elle-même, frappée par les coupures de gaz russe et le durcissement chinois qui handicape ses exportations d’automobiles et de machines-outils. De ces sujets, les Américains n’ont cure : ils disposent d’une énergie inépuisable, avec 20 % du brut mondial produit contre 12 % pour l’Arabie saoudite et 11 % pour la Russie ; la Chine est, avant tout, une zone de sous-traitance et non de débouché pour les produits à haute valeur ajoutée ; le triomphe de Tesla ringardise les Mercedes et autres BMW.
Capacités entravées Certes, mais Emily in Paris et la dolce vita ? Pour les Américains, peut-être, mais plus pour les Européens, instille le Wall Street Journal : « La vie sur un continent longtemps envié par les étrangers pour son art de vivre perd rapidement de son éclat à mesure que les Européens voient leur pouvoir d’achat fondre. » En 2008, la consommation des Européens et des Américains était du même ordre. L’écart est aujourd’hui de 57 %. Quant au salaire médian américain, il est de 77 500 dollars, près de la moitié plus que le français (52 800 dollars), selon le quotidien économique.
En 2000, les Européens s’étaient fixé pour ambition, au Conseil européen de Lisbonne, de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » avant 2010. La décennie 2000 fut effectivement celle de la connaissance… aux Etats-Unis, avec l’explosion des Google, Apple, Facebook, Amazon et maintenant de l’intelligence artificielle. Cette prospérité se reflète à Wall Street : Apple vaut 2 800 milliards de dollars, Microsoft 2 400, Meta et Tesla 750. Quelle importance ? Tout simplement parce que, sans valorisation, on a des capacités de développement entravées.
Comment Renault, valorisé à 12 milliards de dollars, peut-il espérer se battre contre Elon Musk, qui multiplie les créations d’usines coûtant chacune de 5 à 10 milliards de dollars ? Emmanuel Macron a annoncé 200 millions d’euros à investir, d’ici à 2030, dans le métavers, mais son promoteur, Meta, y a déjà englouti plus de 30 milliards de dollars. Pour l’intelligence artificielle, selon l’université Stanford (Californie), l’investissement privé de la France était de 1,7 milliard de dollars en 2022 contre 47 aux Etats-Unis. Les Européens sont plus pauvres et, faute de force de frappe financière, ils risquent d’être bientôt hors-jeu.
Le PIB est une mesure contestable et il faudrait une étude détaillée pour comprendre cet écart parce que aux US, la vie est loin d’être rose pour le vulgus pecum.
Donc à quoi ça sert d’avoir un super PIB quand la moitié de la population est dans la précarité ?
Et il y a potentiellement des phénomènes de bulle (les prêts étudiants par exemple), de prédation pure (les prêts étudiants encore, la crise des opioides, le scandale Boeing etc…) , d’optimisation fiscale (Amazon est officiellement déficitaire en France et ne paye pas d’impôt ou presque), de main d’œuvre étrangère (j’ai bossé pour une boite américaine et une bonne part du personnel est en Inde, où cette plu-value est déclarée ?)
Et il y a les perversions connues de la mesure, les accidents de la route, les cancers augmentent le PIB. Donc avec leurs pickups géants, les routes correspondantes, les accidents, les maladies… Tout ça génère du PIB.
Et donc peut-être que ce gain de PIB est le reflet d’une économie qui détruit encore plus que nous son environnement et ses ressources, génère du profit sur la misère etc…
Je suis d’accord avec tout ce que tu dis, il me semblait aussi que le secteur de la santé aux US représentait une grosse part du PIB. Ça me fait penser à la loi de Goodheart “Lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure”. Malgré tout le PIB reste un indicateur de référence pour beaucoup de monde, les investisseurs notamment.
J’ai aussi entendu dire qu’il valait mieux être pauvre en Europe mais de classe moyenne ou riche aux US, je sais pas quoi en penser.